2005 est une année surprenante :
Malgré une acidité satisfaisante à la vendange, les vins obtenus après les fermentations présentent en moyenne sur l’AOC Champagne une acidité faible. Ainsi, la quasi-totalité des vins de champagne ont été acidifiés cette année.
L’acidification est une méthode oenologique corrective qui consiste en l’adjonction d’acide tartrique dans le vin. Cette intervention physico-chimique est légale car l’acide tartrique utilisé provient des vins des années antérieures : on restitue au vin l’un de ses composés naturels
Deux approches de l’élaboration du vin :
– L’analyse correspond à une approche quantitative.
Elle est nécessaire pour prévenir certains problèmes liés à des micro-organismes et est parfois nécessaire pour améliorer une faiblesse liée à la composition du raisin défectueuse. En effet, c’est le raisin qui donne le vin. Tout se joue à la vigne. Les pratiques culturales (désherbage chimique ou charrue, engrais chimique ou compost organique, utilisation de pesticides de synthèse ou méthode naturelle, rendement excédentaire ou régulé, maturité imparfaite ou parfaite, état sanitaire impeccable ou raisins pourris, vigne trop vigoureuse ou équilibrée) sont les éléments qui vont agir sur le raisin ; et donc sur le vin.
La prescription d’actions systématiques en se basant uniquement sur les chiffres d’une analyse aboutit à des vins technologiques de type industriel.
– L’analyse sensorielle correspond à une approche qualitative.
C’est celle que je préfère, car la personne qui va consommer notre Champagne, où qu’elle soit dans le monde, se basera sur ses sensations pour dire si le vin est bon ou non. Elle n’aura que faire d’un chiffre. D’ailleurs, même si ce chiffre était porté à sa connaissance, elle ne saurait pas nécessairement l’interpréter.
Que donne l’analyse sensorielle de nos vins ?
Les vins sont purs, riches, onctueux et fruités, avec une vivacité satisfaisante. La finale est précise et minérale. C’est difficile d’obtenir ce profil de vin car ça demande une grande exigence à la vigne. J’y reviendrai.
Lorsqu’on acidifie un tout petit peu nos vins, tout change.
D’abord, c’est douloureux pour les gencives car l’acide tartrique ajouté n’a pas les mêmes effets que les acides organiques naturels. Deux jours après cette dégustation, j’en ressens encore les signes; alors que les dégustations d’assemblage – plus longues et plus nombreuses – n’ont pas eu cet effet… De plus, la minéralité passe au second rang. Elle deviend très peu perceptible. Pour deux des trois assemblages, on ne gagne rien à acidifier, même peu. Pour le troisième, la dose d’acide souhaitable est insignifiante. C’est un peu comme le grain de sel qui manque dans une soupe : une très faible quantité améliore la saveur.
Pour moi, l’important est de produire un vin de terroir qualitatif avec un vrai caractère: celui qui signe son origine. Dans cet esprit, la minéralité du vin est la signature du terroir. Le terroir, c’est la seule chose qu’on ne peut pas copier par des pratiques oenologiques correctives (ajouts de produits dans le vin comme c’est souvent le cas par facilité partout dans le monde). Si on empêche la minéralité de transparaître, on donne naissance à un vin technologique de type industriel. Ce n’est pas ce que je souhaite. Nous n’acidifierons pas nos vins de 2005.
Pourquoi pouvons-nous nous passer d’acidifier ?
Ceci est la conséquence de notre travail à la vigne. La non utilisation de désherbants chimiques depuis 1998 (à 2000 selon les parcelles), l’enherbement naturel soignant les déséquilibres du sol, le travail mécanique des sols, le remplacement du tracteur par l’homme pour tous les travaux mécanisables et les traitements; et le passage du vignoble en biodynamie ont permis de relancer la vie microbienne des sols. Ces choix courageux (sur le plan économique), atypiques et probablement uniques en Champagne, ont permis à la vigne de trouver un équilibre dans un écosystème qui se reconstruit. Cet équilibre se retrouve dans le raisin (d’où la minéralité et l’acidité naturelle). Le vin est élaboré à partir des raisins… si les raisins sont bien construits, le vin n’aura pas besoin d’intervention oenologique. C’est le seul moyen pour que le vin exprime une vraie personnalité.
Et pour la cuvée qui nécessitait une très très faible acidification ?
La dose d’acide tartrique nécessaire pour améliorer ce vin étant extrêment faible, on peut penser que l’acide carbonique formé lors de la seconde fermentation en bouteille* aura une incidence suffisante sur l’équilibre du vin. On ne peut pas produire de grand vin sans prendre ce type de risque.
* Explication:
Lors de la fermentation en bouteille (celle qui donnera naissance aux bulles de champagne), il y a un dégagement de gaz carbonique. Le volume dégagé est tel que la pression atteint 6 bars dans la bouteille. Sous l’effet de cette pression, une partie du gaz carbonique se dissout et donne naissance à de l’acide carbonique (car le milieu est acide). Cet acide carbonique, d’origine organique, apportera de la fraîcheur et permettra de renforcer l’équilibre du vin tout en préservant sa minéralité.